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Ce Monde nous berce de l’illusion de la jeunesse éternelle où la consommation est nécessaire, où la prospérité, le succès, la santé et la jeunesse sont synonymes de reconnaissance sociale. Ce Monde génère un face-à-face entre une population dite « forte » et une  population dite « fragile » : une population anesthésiée, en quête de richesse et jamais rassasiée, et une population en quête de sens, de valeurs, de  richesses intérieures.

Ce qui émerge de ce face-à-face, c’est que nous ne sommes pas divisés car nous sommes tous concernés par la fragilité. Nous naissons tous mortels. Nous sommes tous exposés à des incidents, des accidents, la maladie, le deuil… Nous ne pouvons pas tout prévoir, tout contrôler. Surtout, nous avons tous besoin des autres pour nous sentir exister. Car nous sommes des êtres humains en devenir, en évolution et ce tout au long de notre passage dans ce Monde.

Nous naissons fragiles et nous quittons ce monde fragiles. Cette vulnérabilité nous renvoie à notre finitude et nous met face à la fragilité de notre existence et de notre condition humaine. Elle fait partie de l’expression originelle de la Vie et du sens qu’on lui donne.

La fragilité nous permet d’accéder à l’expression de tous les sentiments humains dans une totale acceptation de qui on est vraiment, sans masque. Un monde qui ne trouve pas l’équilibre entre la force de la fragilité et la fragilité de la force s’expose à des divisions existentielles. À une déshumanisation. La force de la fragilité nous permet de reconnaître que le rapport entre nos forces et nos faiblesses fonde toute vie et influence notre relation aux autres et à nous-mêmes. Dès que l’on accepte que cela n’arrive pas qu’aux autres, un espace s’ouvre pour la solidarité. On a alors le sentiment d’appartenir à la même humanité.

La fragilité de la force nous place dans un sentiment de toute puissance ; l’homme vulnérable peut établir une relation avec Dieu, ce que l’homme invulnérable ne peut faire… Il se prend pour Dieu !!! Renoncer à la toute puissance est un passage obligé pour ne pas faire de l’autre un objet. C’est renoncer à participer à l’expression de la loi du plus fort.  C’est œuvrer pour créer et générer de la paix en nous et autour de nous. C’est toucher nos limites, notre vulnérabilité.

La vulnérabilité assumée rend beau, vrai, elle crée des liens profonds et nous rend authentique.

De la fragilité jaillit un appel, un cri pour la relation. Accueillie et aimée, la fragilité permet la relation et cette relation devient une révélation. Toutes les différences sont fragilité. Un signe de non totalité que l’on peut lire comme de la pauvreté. La séparation en deux sexes est pour l’individu signe de pauvreté. Pauvreté de ne pouvoir jouir de soi sans un autre, ni de faire advenir la vie à soi seul. Insuffisance aussi : moi qui ne suis qu’une femme, handicapée de mon masculin, je me trouve sur terre devant plus de 3 milliards de gens dont j’ignore ce qu’ils vivent : les hommes.

La fragilité est un passeport vers le radicalement nouveau, car sans traversée du vide, il n’y a pas de renouveau possible. La fragilité n’est pas un bien en soi, elle est la condition de l’émergence du radicalement nouveau. Elle est une présence sans menace pour l’autre. Mais il y a deux fragilités, une bonne et une mauvaise. La bonne est toujours du côté de l’acceptation des différences et des limites, et finalement de la mort. Tout handicap, toute maladie, toute imperfection nous renvoient à notre statut de mortel.

Quand nous n’acceptons pas la fragilité de l’autre, c’est que nous sommes nous-mêmes dans la mauvaise fragilité : LA PEUR. Et toutes les peurs se résument en une : la peur d’être anéanti. Dans le monde symbolique, la fragilité s’inverse en force puisque par elle passe la plus grande force : LA LUMIÈRE. Elle permet la présence à soi et surtout à l’autre. Et cette force de la relation, du « nous » véritable est finalement celle qui triomphe de tout, même des persécutions.

La fragilité vient aussi du collectif : à partir du moment où les individus adhèrent aux intérêts du groupe ils changent de caractère et peuvent se révéler d’une sauvagerie et d’une barbarie extrêmes. Cette identification au groupe suppose le sacrifice de son esprit critique et même de son potentiel émotionnel. Face au groupe il est important de savoir préserver son sens critique et de sauvegarder sa liberté qui est la chose la plus fragile qui soit.

Le devenir de l’expérience de fragilisation se laisse entrevoir ainsi : nous ne serons jamais plus comme avant, nous ne pourrons plus jamais nous passer des autres. Quelque que soit  la prochaine fragilisation, ils seront là et nous désirons garder la mémoire de ce qui nous a permis de traverser le temps de cette fragilisation. Telle est l’ambivalence humaine. En nous cohabitent de solides certitudes et des zones susceptibles de fragilisation.

Traverser  le temps de la fragilisation comme on se laisse aller au sommeil, à la mort de soi sans lutter… La durée interminable de la fragilisation est à traverser peu à peu pour que se vérifie l’intuition de départ, celle d’une réalité qui n’est pas menacée de mort. Nul ne peut le faire seul. On dirait que s’entendre les uns les autres prédispose à se sentir entendu de Dieu.

La fragilisation n’épargne aucun être humain. Et le plus grand amour humain ne saurait se prémunir contre la perte irrémédiable et la fragilisation qui s’ensuit. En énonçant que « tout est possible » notre société nous empêche de cohabiter avec notre fragilité fondamentale. La personne fragilisée ne peut reprendre pied que si elle est invitée à communiquer, donc à faire partie du monde des humains. Et il est à la portée de n’importe qui de tendre un bout de passerelle à la personne fragilisée, par-dessus l’abîme provoqué par la perte irrémédiable. Jusqu’au jour où, peut-être, elle s’apercevra que cette passerelle est d’origine divine.

Article proposé par Marie Jésus SANDOVAL-AMRITA

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